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Édition septembre 2024

CHEVREUIL

Le dortoir serait-il un mythe?

MARK RAYCROFT

Par Louis Gagnon

Depuis quelques années, la notion de zone de repos semble prendre une place importante lors de l’élaboration de la stratégie de chasse des chasseurs s’intéressant aux mâles matures (3,5 ans et plus). Est-ce un angle d’attaque surévalué? Si non, comment en tirer partie?

Du point de vue purement comportemental, un buck mature passe le plus clair de son temps caché et au repos. En fait, les études parlent d’environ 70% de son temps qui est consacré à ruminer et dormir mais dans les deux cas: couché. La sécurité gouverne les comportements du chevreuil bien avant la nourriture. À forte pression de chasse, la bouffe est secondaire et sera négligée pour tirer partie d’un couvert de sécurité sans faille. Le chevreuil que l’on connaît, une proie dans la chaîne alimentaire, est un ruminant au même titre que la vache; ce qui lui confère la possibilité de manger rapidement pour se retirer sous couvert et ruminer son dernier repas loin des regards. En plus, il a développé en plusieurs milliers d’années un mécanisme de défense qui se résume à trois points: la détection du danger, la capacité de tirer partie de la topographie et du couvert pour se camoufler et finalement être capable d’exploser en vitesse pure à la dernière seconde lorsque les deux premiers points ont échoué. Ces trois adaptations sont étroitement reliées à un choix consciencieux du site de repos. De plus, un autre comportement s’appliquant aussi à la zone de repos mais méconnu de la plupart des chasseurs mérite d’être discuté. Les femelles vivent en clans familiaux constitués de plusieurs femelles et leurs faons qui sont toutes parentes soit mères, soeurs, cousines et fils et filles de l’année. Les mâles vivent la plupart du temps en clans sociaux plus petits et sans parenté. Ces mâles, pendant une très grande partie de l’année, vivent à proximité l’un de l’autre et utilisent les mêmes sources alimentaires et souvent les mêmes sites de repos.

Quoique les mâles et les femelles choisissent rarement les mêmes dortoirs, l’organisation sociale de l’espèce entraîne l’utilisation d’un site de repos convenable par plusieurs individus du même sexe. Vous aurez compris que plusieurs paires de yeux, d’oreilles et de narines sont aux aguets pour sécuriser le secteur.

Déjouer la forteresse d’un grand mâle

Maintenant qu’on a une meilleure idée de l’importance d’un site de repos pour la sécurité du chevreuil, voyons la théorie souvent avancée pour déjouer cette forteresse. Disons que lorsque l’on fixe notre objectif de récolte sur un mâle mature (3,5 ans et plus), plusieurs journées de chasse sont requises et le plus compliqué est souvent de rester inaperçu le plus longtemps possible. Aussi longtemps que le ou les mâles que vous tentez de récolter ne réalisent pas la pression de chasse que vous exercez, vos chances sont toujours bonnes. Aussitôt qu’une odeur a vendu votre présence sur un site donné, vous pouvez être presqu’assuré que ce secteur sera revisité sous le couvert de la nuit seulement. C’est généralement ce qui arrive sur vos sites d’appâtages; brûlés le premier jour de chasse par un vent sans cesse tourbillonnant quant ils n’ont pas été brulés quelques jours avant l’ouverture de la saison par un changement de routine des chasseurs finalisant leur préparation autour de la plupart des secteurs de chasse. Si ce site était visité par un mâle mature, maintenant, ce dernier se présentera la nuit venue. C’est à partir de ce moment que la connaissance d’un site de repos deviendra capitale. En effet, ce même mâle continuera à quitter son «bunker» avant la tombée de la nuit à destination de ses sites d’alimentation où dorénavant, il arrêtera et attendra sous couvert la nuit venue avant de s’exposer complètement à découvert pour s’alimenter. Que le secteur d’alimentation soit un bûcher, un champ agricole ou un tas de pomme, si l’odeur humaine a imprégné ces zones, les chevreuils âgés mâles et des vielles femelles aussi resteront sous couvert dense jusqu’à la nuit venue. Connaissant le point de départ de vos gibiers, vous pouvez tenter de les intercepter à proximité du dortoir dans l’un de leurs couloirs de déplacements. Cette stratégie simpliste en soi est devenue la théorie de base de la plupart des chasseurs de trophée chassant des populations de chevreuils aux pressions de chasse moyennes à élevées.

Une fois qu’ils ont détecté votre présence à un site appâté, vous pouvez être assuré que les grands mâles n’y reviendront que la nuit…

Comment chasser un animal couché qui a appris à survivre en demeurant immobile sous couvert au moindre indice d’un danger??? À très haute pression de chasse, les mâles quittent leur chambre à coucher à la tombée du jour seulement. Vous comprendrez que si cette zone potentielle se trouve à plusieurs centaines de mètres en dehors de votre secteur de chasse, vos chances de récolte sont minces. Si la zone de repos en question borde ou se trouve carrément sur votre territoire, vous pouvez alors tirer avantage des quelques minutes de mouvement diurne en chassant très près en bordure de la zone en question. Une bonne zone de repos en bordure d’un jeune bûcher accidenté, entre 10 h et 14 h, je me tiendrais à l’affût à bon vent pour observer la transition forestière entre ces deux zones.

Caractéristiques à rechercher

La description d’un bon site de repos n’est pas si sorcier qu’on voudrait nous le laisser croire. Un mâle mature choisira d’être en hauteur pour éviter d’être senti par des prédateurs passant plus bas, pour en plus tirer avantage de la constance directionnelle des vents au sommet versus les vents empruntant les vallées. Ce sommet, qu’il soit de 3 mètres, 30 mètres ou 150 mètres ou plus, doit en plus offrir un écran vertical assez dense (25 mètres et moins) pour diminuer la visibilité sans pour autant empêcher une fuite rapide en cas d’urgence. Il doit être assez vaste pour permettre à un ou des bucks de sortir et aller se nourrir sans être détecté. Dans les secteurs plats comme la région du centre du Québec, c’est la densité forestière qui devient primordiale. Une «swamp», une cédrière inéquienne (arbres d’âges variés) ou une plantation de conifères non-élagués sont des habitats souvent recherchés. Ces secteurs choisis avec soin, il les quittera tard en fin de journée et y reviendra tôt le matin pour se lever à quelques occasions en mi-journée pour s’alimenter un peu, déféquer et s’étirer. Ceci implique nécessairement qu’un peu de nourriture doit s’y trouver.

MARK RAYCROFT

Même au cœur de leur «bunker» les grands mâles vont souvent se lever en mi-journée pour s’étirer un peu et grignoter quelques tiges avant de s’allonger à nouveau.

Vous avez un ou des secteurs renfermant quelque-unes de ces caractéristiques à dortoir, vous devez aller les marcher pour les valider. Si vous jettez votre dévolu sur un grand mâle, en décembre après la chasse ou au printemps, marchez en zig zag la zone en question et chercher des couches de 50 pouces ou plus de long, des traces de 2,5 pouces ou plus de large, des crottins en grande majorité de format moyen à gros sans crottin de faons et finalement des frottages sur différents diamètres d’arbres mais pas obligatoirement en grand abondance; ce sont ces signes qui valideront le secteur.

Louis gagnon

Exemple d’un dortoir de femelles près d’une zone d’alimentation.

Louis gagnon

Exemple d’un dortoir de femelles adjacent à une zone de nourriture et plus loin sur un endroit surélevé un dortoir de bucks.

Louis gagnon

Remarquez bien le mâle mature au repos près d’une zone d’alimentation; un endroit normalement choisi par les groupes de femelles pour se reposer. Parions qu’une femelle en chaleur ou sur le point de l’être rode dans le coin…

Conseils du guide

En réalité, l’efficacité que peut apporter la connaissance exacte d’un secteur de repos repose presqu’exclusivement sur les différentes possibilités de lui couper le passage sur certains sentiers partant de cette zone et menant à ses sites alimentaires naturels, des sites d’appâtage à distance ou des groupes de femelles selon l’avancement de la saison du rut. Les trois points les plus importants à respecter sont sans contredit le vent, le vent et encore le vent. Vous choissisez de couper un passage uniquement à bon vent et sans aucun compromis. Même si vous êtes un fanatique de la propreté et de la désinfection de votre linge et matériel de chasse, vous ne réussirrez jamais à couvrir complétement vos odeurs. Rappellez-vous qu’au moindre doute, un buck deviendra encore plus nocturne au point de ne plus quitter son «chateau fort» avant la nuit totale. Si vous trichez le vent, du coup, vous perderez l’avantage que vous aviez sur lui. La solution est simple, plusieurs sites d’affût sans préparation importante, par terre ou en hauteur, autour du site de repos en fonction du vent.

Pour surprendre un mâle mature il faut préparer quelques postes d’affûts discrets autour de la zone de repos que vous pourrez utiliser en fonction du vent.

Un site de repos peut-il être relocalisé durant la saison?

Si vous envahissez le secteur de repos, assurément, le ou les bucks changeront de zone à moins que le secteur soit immense. Un autre cas de déplacement, dans des populations de chevreuils au rapport des sexes trop débalancé en faveur des femelles, ce qui est notre cas dans la grande majorité des territoires québéçois, les mâles matures resteront fidèles à leurs zones de «couchages» et ce seront les femelles qui iront les retrouver. Vers la fin du rut, qui coincide souvent avec notre dernière fin de semaine de chasse, les mâles matures relocaliseront temporairement leur zone de repos parmi celles des femelles pour tirer avantage des quelques femelles possiblement proches d’être en chaleur. Une mauvaise température comme un vent fort ou une longue période de pluie abondante peuvent aussi pousser tous les types de chevreuils vers les zones protégées plus basses comme une plantation dense de conifères. C’est dans ces conditions particulières que j’opterai pour faire intrusion à la chasse fine dans ce type de secteur.

Louis gagnon

Un beau mâle récolté à l’arc à proximité d’une zone de repos de bucks.

Pour conclure

Connaître la ou les zones de repos d’un buck mature s’avère important pour choisir efficacement en fonction du vent votre site d’affût. À partir de là, vous pouvez y glisser des micro-techniques de chasse comme les appels, la création d’une fausse ligne de grattages, l’introduction d’un appeaux, bref des gestes qui non seulement rendent la chasse plus intéressante mais qui ont plus de chance de porter fruit à proximité d’un secteur potentiellement habité par un ou plusieurs mâles. Vos probabilités de récolte ne pourront qu’augmenter. Un dernier petit conseil, à l’affût à proximité d’une zone de repos, amenez-vous une sandwich car les gros bucks bougent souvent sur l’heure du midi et plus régulièrement à proximité de leur dortoir.

Bonne chasse!

Les différents types d’habitats utilisés par les chevreuils pour se reposer et éviter les prédateurs (chasseurs) durant la saison de chasse.

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