VIANDE DE GIBIER
La tendreté


Par Réjean Lemay*
*L’auteur est professeur de boucherie à la retraite
Comme la plupart des chasseurs, vous avez hâte de déguster une pièce de viande provenant de votre dernière chasse. Ce moment privilégié vous permettra de découvrir le goût particulier et le niveau de tendreté de votre viande. C’est lors de la mastication que vous constatez ce niveau de tendreté de votre venaison. Celui-ci peut varier grandement d’un animal à l’autre, que ce soit un orignal, un chevreuil ou tout autre animal. Même la viande de bœuf de boucherie peut présenter des écarts de tendreté.
La tendreté de la viande est principalement reliée au mode de vie qu’a connu l’animal. Par ailleurs, le goût sera influencé par la nourriture que la bête aura consommée durant les mois précédant sa récolte.

RÉJEAN LEMAY
Sous ce contre-filet de chevreuil, l’épaisseur de gras dorsal nous indique une viande tendre.
L’âge et le sexe
La viande d’un veau de l’année est toujours extrêmement tendre. Mais malgré sa grande tendreté, cette chair a peu de tonus et un taux d’humidité élevé tout comme celle d’un veau de boucherie. Cette viande ayant peu de goût, l’utilisation d’épices ou de marinades dans sa préparation sera nécessaire afin d’en rehausser la saveur. Lors d’une cuisson à chaleur directe, cette viande a tendance à rapetisser plus que celle des bêtes plus âgées. La masse musculaire d’un veau étant peu développée à l’âge de six mois, le rendement en viande par rapport à l’ossature reste faible.
La viande des animaux d’un an et demi est très tendre, a plus de tonus que celle des veaux et offre un meilleur rendement. La chair des femelles de ce groupe d’âge est à peine plus tendre que celle des jeunes mâles.

RICHARD MONFETTE
La viande des jeunes mâles sera la plupart du temps plus tendre que celle des individus plus âgés.
La chair de la femelle est généralement plus tendre que celle du mâle, peu importe l’âge de ce dernier. La viande de la femelle qui n’a pas eu de veau, qu’on appelle nullipare, ou qui est stérile, sera très tendre. Le fait que cet animal n’a qu’à s’occuper de son bien-être et de ses besoins en eau, en nourriture et en prédation lui permettra d’accumuler du gras intermusculaire et un abondant gras dorsal, indiquant que sa chair est très tendre. Cette femelle accompagnera souvent une autre femelle.

RICHARD MONFETTE
La viande d’une femelle sans faon sera normalement très tendre car elle n’a qu’à s’occuper de son bien-être et elle peut ainsi accumuler de bonnes réserves de gras. Noter que ces femelles sont souvent accompagnées d’une autre femelle.
La viande de la femelle qui a nourri un veau aura tout de même un niveau de tendreté acceptable, en fonction de son âge. Une autre femelle qui aura eu deux veaux et occasionnellement, un troisième, sera moins en chair que celle n’ayant eu qu’un seul rejeton. La mère de plusieurs petits aura dépensé plus d’énergie pour la lactation, ce qui affectera le niveau de tendreté de sa chair. Après le sevrage du ou des veaux, les femelles se consacrent à reprendre de l’énergie, à accumuler du gras et à rebâtir la masse musculaire atrophiée par la lactation.
Une femelle âgée qui ne donne plus de veaux est généralement très en chair. Elle accumule une bonne couche de gras de surface et du gras intermusculaire, ce qui rend la chair tendre.

RÉJEAN LEMAY
L’épaisseur de gras sur la poitrine de cette femelle orignal donne un bon aperçu du niveau de tendreté des chairs.
Par ailleurs, chez les mâles, bien qu’il puisse y avoir d’agréables surprises, la tendreté de leur viande diminue généralement avec l’âge. Le jeune mâle d’un an et demi, qui est au début de sa vie, possède une chair très tendre. Même si le jeune mâle éprouve un désir de reproduction, il se tiendra peinard afin de ne pas provoquer ses aînés.
Cependant, à partir de l’âge de deux ans et demi, l’envie de s’accoupler augmente de façon significative chez ces jeunes mâles. Ces derniers resteront en périphérie des grands mâles en espérant s’accoupler ou ils quitteront pour poursuivre leur quête d’une femelle. En évitant les combats avec les grands mâles, ces jeunes mâles préservent une certaine qualité de leur viande.
La chair des mâles dominants transitoires, à la recherche de femelles, est généralement peu tendre. Ces mâles qui cessent de s’alimenter et parcourent de longues distances hypothèquent la qualité de leur chair. De plus, les combats que se livrent ces mâles diminuent aussi le niveau de tendreté de leur chair C’est dans ce groupe d’âge que l’indice de tendreté de la chair des animaux est le plus bas et il décroit avec l’âge.

MARK RAYCROFT
Les grands mâles matures qui doivent parfois se battre pour protéger leur territoire d’accouplement présentent habituellement une chair peu tendre.
D’autres mâles matures ayant la chance d’évoluer dans un territoire fréquenté par des femelles auront une chair acceptable. Les femelles rejoignent le mâle dominant du secteur qui n’aura que peu de déplacements à faire car les femelles viennent à lui. Retranché dans son repaire, ce mâle n’aura qu’à s’occuper de ses conquêtes et à protéger son domaine. Plus ces mâles auront à défendre leurs acquis, plus la qualité des chairs diminuera.
Lorsque vous récoltez un grand mâle dominant qui dégage une odeur de souille, attendez-vous à être déçu de la faible tendreté de sa chair. De plus, lors de l’éviscération, si le foie est décoloré et présente une teinte jaunâtre, il se peut que la viande, en plus d’être coriace, goûte ce qu’elle sent.
L’élastine
Les muscles sont recouverts de membranes plus ou moins épaisses constituées de fibres qu’on appelle tissus conjonctifs. Les fibres qui sont constituées des tendons, des nerfs et des aponévroses qui ont pour rôle de relier les muscles, formés de tissus musculaires, aux tissus osseux qui forme le squelette.
Lorsqu’on regarde un muscle ou une pièce de viande de près, on peut identifier le grain de la viande. Il s’agit en réalité de faisceaux de fibres musculaires plus petits qu’une allumette. Ces faisceaux sont composés de plus petites fibres musculaires appelées fibrines qui sont reliées entre elles par du tissu conjonctif. Les fibrines sont, à leur tour, composées de myofibres où le tissu conjonctif est aussi présent. Les myofibrilles sont un assemblage de petits disques ronds appelés sarcomères. Ces derniers permettent la contraction et la décontraction des tissus musculaires. Plus un muscle travaille, plus il développe du tissu conjonctif. Le tissu conjonctif contient du collagène mais aussi de l’élastine qui est plus coriace. Le tissu conjonctif se développe à l’effort mais aussi avec l’âge. Par conséquent plus une bête est âgée, plus les probabilités qu’elle développe du collagène sont élevées, en fonction de son mode de vie.
Certain muscles ou groupes de muscles contiennent plus de collagène et d’élastine que d’autres, en raison de leur emplacement et du surplus d’efforts qu’ils ont à accomplir. Plus les muscles sont soumis à l’effort, plus leur niveau de tendreté sera déficient, ce qui explique le niveau de tendreté variable des chairs chez un même animal. Les muscles des jarrets, des poitrines et du cou qui sont très sollicités, ont donc un niveau de tendreté inférieur à celui d’autres muscles dans la carcasse. À l’inverse, les muscles du dos, soit les filets, les contre-filets ainsi que les faux-filets, qui travaillent très peu, offrent une viande beaucoup plus tendre.
Les coupes plus coriaces requièrent une cuisson plus lente, à une température plus basse et dans un milieu humide. Ce type de cuisson réduit grandement la présence de collagène dans la viande et donne des plats plus gouteux tels que les bouillis et les braisés. Il faut donc prendre le temps nécessaire pour cuisiner ces pièces de viande afin d’obtenir de bons résultats.
Le stress
Le stress d’un animal exerce aussi une influence sur le niveau de tendreté de sa chair. Le stress produit de l’adrénaline qui se transformera en acide lactique. L’acide lactique se répand dans tout le système musculaire par le réseau sanguin. Lorsqu’un animal est pourchassé par un prédateur ou est blessé par balle, son niveau de stress augmente et la qualité de sa chair diminue. Ces animaux stressés offrent une viande de couleur un peu plus foncée. Deux mâles qui se battent augmente beaucoup leur niveau d’adrénaline et donc de l’acide lactique. Lors de l’éviscération, le sang et la viande seront de couleur plus foncée et leur viande sera plus collante. Même chez les animaux de boucherie, nous retrouvons ce type de décoloration causé par un grand stress. Les bouchers appellent ce type de viande du black cut ou coupe noire.
Conclusion
Le chasseur n’est pas à l’abri de surprises. À partir du moment de l’abattage de la bête, il ne peut qu’espérer une viande tendre. Cependant, chez les mâles, la largeur du panache est souvent l’indice d’une viande à la tendreté déficiente. Cet orignal à gros panache fait de belles photos mais sa chair est rarement tendre. Lors de la coupe de la peau sur le sternum, soit l’os de la poitrine, l’épaisseur du gras qui s’y trouve vous informera sur le niveau de tendreté de la chair. La présence abondante de gras sur la longe et la croupe est un indice d’une viande tendre. Lorsque le gras de poitrine a fondu et qu’il ne reste que des membranes transparentes de couleur bleuâtre, nous pouvons en déduire que la bête a dépensé ses réserves de graisses pour s’accoupler ou qu’elle est malade.

PIERRE MÉTIVIER
La récolte d’un grand mâle mature est toujours un évènement marquant dans la vie d’un chasseur. Par contre selon les conditions de vie de l’animal dans les semaines voire même les années précédant sa mort il se pourrait que sa chair soit plus coriace dans l’assiette que celle d’un individu plus jeune.